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Rated: E · Short Story · Biographical · #981719
Domi était mon ami. Il est parti le premier jour de l'été.
J'étais justement en train de penser à lui et je me disais que si tout n'avait pas été aussi mal au cours de l'année, Steve aurait pu téléphoner à Domi et il serait venu me chercher à la gare. Il était, de tout mes amis, celui sur lequel je pouvais toujours compter, jour et nuit, et en plus, il aurait été très heureux de pouvoir nous rendre service.


Mais, on ne s'était pas vu depuis longtemps. L'alcool, celui qu'il buvait trop, en était la raison. Un diner qui avait mal tourné et on avait pris la seule solution qui s'imposait: de ne plus le revoir tant qu'il boirait... Et il buvait toujours.


Steve était bizarre depuis la veille. Je l'avais eu au téléphone et il était très tendu. Dans la voiture qui me ramenait d'Amiens, et alors que j'écoutais Patrice me parler de ses projets et de ses difficultés, la certitude me vint que Steve se retenait de m'apprendre une mauvaise nouvelle. Mais quoi? Un cambriolage, peut-être, c'est la seule idée qui me vint.


Je l'appelai de la gare d'Austerlitz. Lorsque je lui demandai si quelque chose s'était produit en mon absence, il me répondit, en se composant une voix calme, que Domi avait eu un accident et qu'il était décédé.


Je ne sais si le sentiment est le même pour chacun, lorsqu'on apprend le décès d'un proche, mais la facon douce dont Steve m'a parlé, les mots qu'il a choisi sont pour beaucoup dans le fait que cette mort ne m'a pas fait peur, ne m'a pas choquée. Je suis passée directement au stade de la douleur, de la blessure, du manque.
J'ai tout de suite dû me retrouver car il fallait appeler à droite et à gauche les amis qui s'étaient occupé de tout.


Ce n'est qu'une fois que tout a été arrangé que j'ai pû laisser couler les larmes.


Est-il curieux de penser que de tous mes amis, Domi était certainement le plus fragile, le plus mal parti dans la vie, et pourtant, si j'ai souvent eu peur pour quelqu'un, je n'aurais jamais pensé qu'il pouvait mourir si tôt.
J'en ai parlé avec quelqu'un, je ne sais plus qui, et il n'avait pas du tout la même opinion que moi.
Pour moi, Domi avait toujours été là, et il serait toujours là. Je ne savais pas qu'il le serait, mais sous une autre forme.

On dit souvent que les meilleurs partent les premiers. Domi n'était pas le meilleur, mais c'était mon vieux pote, un de mes plus vieux copains sur Bordeaux, et celui qui avait de toute facon été le plus proche, malgrè nos différences.


Le jour de son enterrement reste dans ma mémoire comme certainement l'un des plus tristes de ma vie. Tout ce monde, il aurait été très heureux de les voir réunis, parce qu'il avait le don des amitiés hétéroclites. Il voulait toujours être entouré et il était assuré qu'avec toutes nos différences, il y aurait au moins toujours quelqu'un pour l'écouter. Est-ce qu'il en était conscient?


Ses parents, il voulait tellement toujours être en guerre avec eux, et pourtant, il aimait le confort de l'amour parental. Même à trente ans, il n'avouait que timidement que c'était bien de se faire chouchouter. Est-ce que j'étais la seule à qui il en parlait?


Ses amis étaient là, les sérieux, les conseilleurs, bons et mauvais, les profiteurs, les indifférents. Tous émus, tous venus pour lui dire aurevoir, adieu.


Nous n'étions jamais allés dans cette nouvelle maison dont il était si fier. Il nous en avait donné l'adresse à l'occasion d'une rencontre surprise au supermarché. Il était donc dit que nous la visiterions quand même.
Dans chaque pièce, je le reconnaissais, bien que des petites mains vaillantes se soient activées pour rendre quelque propreté au style de Domi.


Je remarquais la calligraphie que Guoqiang avait faite pour Domi. C'était au cours d'un repas chez Fabienne, et mon ami chinois nous avait spécialement fait une démonstration de son art, et on avait eu chacun une calligraphie. Celle de Domi disait : " Eau, Bâteau, Mer " . Sur les conseils de Fabienne, je demandais à la famille de me remettre la calligraphie. On accepta, c'était un geste magnifique car j'avais vu ce cadre dans tous les nombreux appartements de Domi et je sais qu'il l'aimait beaucoup.


Le cercueil, effrayant, avait été placé dans une pièce à l'entresol, et au moment de sortir mon ami de la maison, je compris l'étendue du désastre de l'expression : "sortir les pieds devant". "Je n'en sortirai que les pieds devant".
Je regardais, accrochée à Christine, la soeur de Domi, mon vieux pote qui sortait de chez lui "les pieds devant".


C'est toujours facile d'écrire sur quelqu'un qui est mort. On est tout de suite les meilleurs amis du monde. Pour Domi, je ne sais comment dire, il a été tellement pesant dans ma vie qu'à chaque fois que j'avance, quelque-chose me rappelle une phrase, une expression, un sourire, ou une engueulade.
Je l'ai vu tous les jours pendant des années, je l'ai vu dans des situations extrèmes, comment expliquer, il était toujours là.
On a toujours beaucoup parlé de Domi, Steve et moi, et le fait qu'il ne soit plus là n'a rien changé, ne changera rien.

Quand je regarde son père, son fils ou sa soeur, j'ai l'impression d'être dans une autre dimension. Il me parle.

Le jour de l'enterrement, son père m'a soudain regardée. Je ne sais pas ce qu'il pensait, mais je me suis dit, et je lui ai dit : " On en a traversé des orages..." et j'ai pensé sans l'exprimer que Domi aurait bien mérité un peu de bonheur durable, puisque cela devait finir comme ca.

Comme si cela justifiait le droit au bonheur. Il avait payé tellement cher cette envie de vivre et d'être aimé par tous. Comme c'était injuste, est-ce que tout avait vraiment été inutile? Comme sa mère qui me dit vivre cette perte comme un échec. Mais n'était-ce pas plutôt Domi qui avait succombé à l'échec le plus cuisant?


Je me rappelle un nouvel an où on avait tous trop bu et quelqu'un répétait à Domi qu'on l'aimait tel qu'il était et qu'il n'avait pas besoin d'apporter toujours -sans en avoir l'air- des preuves qu'il le méritait. Je me rappelle aussi combien ces phrases l'amusait et comment il s'assurait d'un sourire incrédule qu'on les lui redirait.


Je lui en veux d'être mort ainsi, d'avoir fait n'importe quoi et de s'être exposé au risque de mourir dans des conditions qu'il aurait détestées. Il n'aimait pas être seul, il avait peur en voiture, il est mort tout seul des suites d'un accident de voiture. Il avait trop bu mais ce n'est peut-être pas cela qui a causé sa mort, mais justement parce qu'il avait trop bu, les raccourcis sont faciles et les choses s'expliquent d'elles-mêmes trop naturellement.


La première année "sans Domi" a été difficile, la semaine de l'anniversaire de sa mort, nous avons encadré la calligraphie et ajouté une photographie de Domi. Au début, je ne voulais pas, Steve y tenait tellement que j'ai dit oui. Je n'aurais jamais crû que cela pourrait faire l'effet d'un bon pansement. La calligraphie est de nouveau devenue une oeuvre d'art qui me rappelle une bonne soirée et la photo de Domi est comme un sourire accroché au mur. Je ne vois plus ce visage en colère. La paix s'est installée petit à petit.


Le soir du 21 juin, nous sommes allés au restaurant, en l'honneur de Domi.


Depuis, la vie suit son cours, et le souvenir de mon vieux copain nous accompagne, nous aide aussi. Serait-il content de voir que l'on vient de tout plaquer pour partir et commencer une nouvelle vie, sans doute, sans aucun doute...
© Copyright 2005 Florence C. (isa-danton at Writing.Com). All rights reserved.
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